INTERVIEW Emmanuel Prost
Hello mes addicts voici pour vous une interview en 5 questions d'Emmanuel Prost qui s'est gentiment prêté au jeu et je l'en remercie grandement.
1) Où as-tu trouvé l’inspiration pour
l’histoire de ton roman La Descente des
Anges ?
Je
n’ai pas eu à chercher bien loin. J’habite Sallaumines (dans le Pas-de-Calais)
depuis un peu plus de 20 ans. Sallaumines se trouvait au cœur de ce que fut au
tout début du XXème siècle le plus grand drame minier européen : la
Catastrophe de Courrières (un terrible coup de poussière qui fit 1099 victimes,
le 10 mars 1906).
Quand
je me suis installé dans cette ville, j’ai très naturellement voulu en savoir
plus sur ma ville et ai emprunté beaucoup de livres dans le rayon « fond
local » de la bibliothèque municipale. J’ai ainsi découvert l’histoire de
ma ville. L’histoire d’une cité minière, avec cette catastrophe qui revenait
irrémédiablement dans tous les ouvrages. Je me suis donc un peu plus intéressé
à ce terrible événement et ai trouvé que je tenais là une histoire très forte
pour tisser une fiction et la faire coller au plus près de la réalité
historique. Je n’ai pas voulu faire un livre sur la catastrophe elle-même (il
en existe déjà pas mal sur le sujet), mais sur les dommages collatéraux de ce
drame sur diverses familles sallauminoises, et ce, sur plusieurs générations.
J’ai donc décliné cela en une grande fresque minière qui allait me permettre
d’inviter mes lecteurs à revisiter ce qu’était le bassin minier artésien de
toute la première moitié du XXème siècle. Avec un personnage, Oriane, qui
serait le fil conducteur (j’ai d’ailleurs à un moment failli appeler mon roman « Le
Fil d’Oriane ») de toute cette histoire. Celle qui servirait de relais
dans le récit de tous ces personnages et nous aiderait à traverser 60 ans
d’histoire.
2) Ton dernier roman (Kamel Léon) est totalement différent des autres. J’ai cru
comprendre que tu l’avais écrit bien avant. Pourquoi ce changement de
registre ?
Oui,
effectivement, Kamel Léon est mon
tout premier roman. J’en avais écrit une première version il y a très longtemps
pour participer à un concours d’écriture (je n’avais alors jamais écrit à
l’époque). Cette première version était loin d’être ce que le roman est devenu
aujourd’hui. Il s’agit d’un conte fantaisiste que j’ai voulu dans un univers
voisin de celui de Marcel Aymé avec son Passe-Muraille.
Parce que c’était un thème qui me fascinait. J’aimais ces histoires
surréalistes où le fantastique utilisé pour les traiter servait surtout de
prétexte à narrer l’histoire d’un type tout ce qu’il y a de plus ordinaire à
qui il arrive des aventures extraordinaires. À cette époque, je n’envisageais
d’écrire que du fantastique. Des nouvelles, une pièce de théâtre, toujours dans
cet esprit de La 4ème
dimension, une série télé de l’époque.
Quand j’ai
découvert l’histoire de la Catastrophe de Courrières, je dois bien t’avouer que
ma première idée avait été de la décliner dans un récit fantastique. Mes
personnages étaient des collégiens qui, en visite d’un musée de la mine de nos
jours, restent coincés dans une galerie. Et quand ils en ressortent, ils se
retrouvent en plein cœur de ce qu’était le bassin minier de 1906, en plein
pendant la tragédie qui allait rendre Courrières mondialement connu.
Mais voilà, je
ne connaissais absolument rien à tout ce qui touchait à la mine, pas plus qu’à
toute cette époque du début du XXème siècle dont je voulais parler. J’ai donc
commencé à faire pas mal de recherches documentaires sur le sujet. Et plus je
travaillais sur le sujet, plus je réalisais que je n’avais pas le droit de le traiter
avec la légèreté avec laquelle j’avais alors l’habitude de m’adonner à
l’écriture. Il y avait là matière à faire un très grand roman. Une fresque
prestigieuse. Je me suis donc mis à revoir la chose tout autrement. Et me suis
dit : « Si je dois un jour publier un roman, un seul dans toute ma
vie, ce sera celui-là, et je vais donc me donner tous les moyens pour faire quelque
chose de vraiment très bien. » Et ça a été je crois la décision la plus
sage de toute mon existence. Parce que j’avais conscience de tenir un sujet
exceptionnel, mais aussi que j’étais bien trop jeune et inexpérimenté pour
arriver à faire aboutir un projet aussi fou et lui donner la qualité qu’il
méritait. Alors j’ai étudié avec grande opiniâtreté et obsession tout ce savoir
que je devais faire mien pour pouvoir prétendre un jour avoir la légitimité de
raconter mon histoire à travers une fiction à toute une région (je ne
m’attendais pas à l’époque à voir mes récits intéresser les lecteurs et
lectrices de la France entière). Il m’a fallu 19 ans pour voir mon projet
aboutir. Un sacré pan de vie, quand même.
C’est donc mon
parcours de vie qui m’a obligé à soudain changer ainsi de registre. Parce que
l’écriture n’était au départ qu’un pur divertissement. Je pouvais me contenter
de la pratiquer en dilettante. Et je pensais bien ne faire qu’une seule et
unique incursion dans le récit historique. Que j’allais pouvoir me dire
« Ça y est, j’ai écrit un livre sérieux, je peux maintenant retourner
m’amuser. » Mais voilà, j’y ai pris goût. Et comme les lecteurs répondent
présents…
3) Vas-tu continuer dans les belles histoires
qui se passent dans le nord avec des histoires de mineurs ou vas-tu poursuivre
dans le style de Kamel Léon ?
Tu vois, sans
t’en rendre compte, en me posant la question tu apportes toi-même la réponse.
Tu taxes mes histoires de gens du nord de « belles histoires ». Ce
sont celles que les lecteurs aiment avant tout. Alors même si je ne m’interdis
pas de sortir un peu de la catégorie dans laquelle je suis dorénavant connu et
reconnu (comme je l’ai fait cette année avec la ressortie de Kamel Léon), ma priorité restera ces
romans historiques du terroir du nord de la France. Parce que j’ai encore
tellement de chose à vous raconter. Et puis je m’astreins à chaque nouveau
roman à faire différent du précédent. Pour ne pas me répéter. Je peux donc,
tout en restant dans mon univers, vous embarquer dans des registres très
divers. Ma seule réelle priorité, c’est tout simplement de toujours écrire ce
que moi j’ai envie. Sans me préoccuper de la tendance du moment, de ce que les
lecteurs (ou les éditeurs) peuvent attendre. Le plaisir est tellement plus
grand quand on arrive à faire mouche en proposant quelque chose allant à
contre-courant. J’ai à chaque nouveau roman toujours eu l’impression de prendre
le risque de dérouter ceux qui me suivaient jusque-là. Et à chaque fois, les
lecteurs ont complètement adhéré. D’où l’importance pour moi de conserver ma
totale liberté de création. Parce que c’est en faisant les choses avec cœur que
j’arrive à toucher les lecteurs. Et je ne suis pas le mieux placé pour en
parler, mais je dois avoir une patte, un ton, bref un style d’écriture qui me
permet d’embarquer mes lecteurs dans mes récits quelle que soit leur teneur. Et
ça, ça me plaît bien.
4) Voici une question que je devrais poser à
ta femme. Je suppose, au vu de tes 3 romans (La Descente des Anges, Les
Enfants de Gayant, Un été 48, et
même Kamel Léon, d’ailleurs) que tu
es un homme romantique ? Est-ce que je me trompe ?
Ah ah !
Le grand mystère de l’homme romantique…
Alors, très
honnêtement, je ne pense pas être si romantique que cela. C’est vrai que j’aime
le romantisme et les belles histoires d’amour pour ce qu’ils peuvent apporter
de romanesque, mais dans la vie de tous les jours, je ne pense pas être ce
qu’on pourrait appeler un homme romantique. Et je suis persuadé que si tu
posais la question à ma femme, elle t’apporterait la même réponse. Voire même ça
l’amuserait que je puisse être perçu comme tel.
Non, ce qui
est certain, c’est que beaucoup de lecteurs relèvent dans mon écriture des signes
d’hyper-sensibilité. Ça, c’est indéniable. De toute façon, être un artiste,
c’est quoi ? Ni plus ni moins trouver un moyen d’expression pour mettre en
relief cette sensibilité que l’on a tous au plus profond de nous. Une mise à
nu, en quelque sorte. Dans la vie, tous les hommes ont plus ou moins en eux une
part de féminité. Certains la refoulent. D’autres l’assument complètement. Moi,
j’en ai certes une grande part. Je l’assume (et le revendique, même !). Mais
ça m’est très utile. Parce que dans mes récits, ce sont bien souvent de femmes dont
il s’agit. C’est vrai que, dans l’ensemble, les histoires dites « de
gonzesses » m’intéressent plus que celles « de mecs ». Si tu
veux voir mes yeux choper la teinte de ceux d’un merlan frit tellement je
m’ennuie et préfère me déconnecter de la réalité, tu viens me parler « bagnoles »,
par exemple (comme aiment le faire la plupart des individus de la corporation
masculine de cette terre). Le pire, c’est que quand un type te tient le
crachoir là-dessus, il t’en parle comme si tu étais supposé savoir de quoi il
s’agissait (« Tu vois la X37 de chez Tartention ? » ;
« Ben, non ! » ; « Mais si, celle avec les jantes alu,
le moteur V6 Turbo et l’autocollant Bébé
à bord monté en série sur la lunette arrière ! » ;
« Ben, non, toujours pas. Mais, pas grave, c’est une voiture,
quoi ! Une espèce de boîte métallique avec un moteur, quatre roues et
un volant !») Et là, bien souvent, mon désintérêt total pour le sujet est
pris pour du cynisme de ma part. Alors que non, pas du tout. Bon, je te
rassure, il y a aussi des tas d’histoires de filles sur lesquelles je décroche
au bout de trente secondes. Viens me raconter dans le détail ta dernière séance
de shopping, et toi aussi, tu vas vite la découvrir ma face de merlan frit.
5) Une anecdote concernant ta vie
d’auteur ?
Tout ce que
j’écris, même si je m’appuie souvent sur des événements réels ou des
personnages ayant existé, n’est que de la fiction. Or, les gens de mon proche
entourage ne peuvent pas s’empêcher (comme ils me connaissent bien) de chercher
qui, dans la vraie vie, m’a inspiré pour tel ou tel personnage. J’ai beau me
battre, et leur assurer que non, tout n’est que pure invention (même si
parfois, certains de mes personnages sont forcément nés en prenant un peu
d’untel, un peu d’un autre et un soupçon d’un troisième). Mais ils me répondent
toujours « Oui, oui, c’est ça ! » en affichant un sourire
narquois pour bien me montrer qu’ils ne sont pas dupes. Le champion dans ce
genre, c’est mon père. Je le soupçonne de ne voir en mes romans que de grandes
enquêtes (enquêtes que lui seul mène) au cours desquelles le jeu est de
découvrir quelles personnes de sa connaissance ont bien pu m’inspirer mes
personnages. C’est terrible. Je dois donc à chaque fois faire très attention
dans l’utilisation des prénoms, parce que si par malheur j’utilise celui d’un
des membres de ma famille, il n’y a pour lui-même plus le moindre camouflage
pour tenter de tromper mon monde.
Et le plus
drôle, dans ce genre, a été une nouvelle que j’avais écrite pour mon ouvrage Concerto sur le Sornin. La toute
première du recueil (une nouvelle qui s’appelait Les Semelles d’or), qui raconte l’histoire d’Anthony, un jeune
homme qui, ayant quitté Charlieu (la petite ville de son enfance, dans la
Loire) depuis de nombreuses années y revient pour le mariage de son meilleur
ami. Pour mon père, il n’en fallait pas plus. J’ai moi-même grandi dans les
rues de Charlieu, j’avais quitté la région très jeune pour ensuite n’y revenir
que très peu. Donc, forcément, même si le jeune homme s’appelait Anthony, il
n’y avait pour lui aucun doute, je ne faisais que parler de moi. Il a donc lu
ça non plus comme un récit de fiction, mais comme un témoignage de ce qu’avait
été mon enfance dans la Loire (pourtant, le jeune homme racontait comment,
quand, étant jeune, il était tombé sur des chaussures magiques qui le rendaient
alors imbattable dans toutes les disciplines sportives dès qu’il les avait aux
pieds… Et je peux te jurer, dans la vraie vie, je ne les ai toujours pas trouvé
ces foutues godasses !). Mais le pire dans tout cela (mais qui,
finalement, moi, me fait le plus marrer), c’est que dans ma nouvelle, mon
personnage avait à 15 ans quitté sa petite ville de Charlieu parce que ses
parents étaient décédés dans un accident de voiture. Ouh là là !
Sacrilège ! Qu’est-ce que j’avais fait là ! Et il paraît que mon père
n’arrivait plus à faire son marché sans s’indigner auprès de ceux qui
demandaient des nouvelles de la famille que dans mon dernier récit, je l’avais
fait mourir…
C’est pour ça,
maintenant je ne raconte que des histoires qui se déroulent dans le nord de la
France du début du XXème siècle. Parce que mon père n’y connait absolument rien
sur le sujet et ne peut donc plus opérer le moindre transfert.
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Esquelbecq Juillet 2016 |
Voici le lien vers mes chroniques des livres d'Emmanuel :